En
1946, Georges Brassens a 25 ans, il vit à Paris chez Jeanne et
Marcel, impasse Florimont. La Seconde Guerre mondiale vient de se
terminer. S’il fut réquisitionné par le STO à Basdorf de mars
1943 à mars 1944, Georges
Brassens ne prit pas part au conflit et en fut heureux. Préférant
se réfugier dans les livres, il s’abîme dans la lecture. Chez les
philosophes, il parcourt les écrits de Platon et apprécie la pensée
de Socrate. Dans la dramaturgie, il estime beaucoup Henrik Ibsen et
sa doctrine hostile aux partis cléricaux et à l’État, Jean
Anouilh et ses comédies souvent grinçantes ainsi que Luigi
Pirandello dont les idées sur la façon de vivre sont proches des
siennes. Il lit et relit ses auteurs favoris : Voltaire, Claude
Tillier, Charles-Louis Philippe, André Gide avec lesquels il réalise
ses humanités. La poésie, découverte à l’adolescence, l’envahit
profondément avec notamment les poètes anciens comme François
Villon, les surréalistes et surtout les symbolistes qu’il préfère
par leur imagination, leur rêve et leur écriture très
métaphorique. Georges Brassens croise enfin dans ses lectures des
théoriciens anarchistes : Michel Bakounine, Pierre-Joseph
Proudhon, Pierre Kropotkine. Il découvre là des éléments qu’il
porte en lui sans savoir quel nom leur donner. Une sorte
d’attachement viscéral à la liberté, ainsi qu’une rage
profonde quand des hommes veulent imposer quelque chose à d’autres
hommes. Ils sont antiétatistes, ça lui convient assez. Ils ne sont
pas partisans de l’armée, ça lui convient aussi. Ils étaient
partisans de l’égalité sociale et non de l’exploitation de
l’homme, ça lui convient très bien. Ils sont partisans d’une
certaine indépendance de l’individu en face de la société, ça
lui convient tout à fait. Dès lors il adopte leurs idées :
« Je continue à avoir, je pense, la même morale, et mon
comportement dans la vie sinon dans mes chansons est le plus proche
possible, dans la mesure où un comportement peut-être proche d’un
idéal, le plus proche possible de la morale anarchiste. Si vous
voulez, je crois avoir le comportement que j’aurais eu à 26-27 ans
».
Il
rencontre au printemps 1946 quelques amis qui vont le mener au sein
du groupe anarchiste du XVe
arrondissement de Paris,
puis vers la rédaction d’articles pour l’organe de la Fédération
anarchiste Le Libertaire.
Militant indiscutable, il devient secrétaire de rédaction du
journal et intègre le comité national de la Fédération
anarchiste. S’en suit une période militante jusqu’en 1948. S’en
éloignant, il se perfectionne son art qui deviendra les chansons que
tout le monde connaît.
S’il
reconnaîtra avoir été peu doué pour le militantisme, il
regrettera de s’en être éloigné : « j’ai eu tout à
fait tort d’arrêter de militer ». Il confiera à son ami
Marcel Lepoil, coresponsable du Libertaire : « Même si je ne
le montrerai pas à mon public, pour ne pas le choquer, toute ma vie,
je resterai anarchiste ».